Delphine Bellini (Schiaparelli) : « Nous assumons un modèle fondé sur la création pure »
La CEO de la maison de couture aux inspirations surréalistes prendra la parole lors de de We Are French Touch, le mercredi 26 novembre prochain au Palais Brongniart. A cette occasion, elle revient pour la French Touch sur l’année écoulée, les dynamiques son secteur d’activité et ses ambitions.
Dans un univers où la création guide chaque décision, la maison Schiaparelli continue de s’imposer comme une référence incontournable de l’ultra-luxe et de l’innovation artistique. Portée par la vision de Delphine Bellini et l’audace créative de Daniel Roseberry, Schiaparelli célèbre ses temps forts à travers des défilés marquants, des collaborations avec des icônes mondiales et l’ouverture de nouveaux espaces emblématiques. Cet article revient sur l’année 2025, riche en événements prestigieux pour la célèbre maison fondée par Elsa Schiaparelli, et dévoile les ambitions stratégiques et artistiques qui façonnent l’avenir de cette maison mythique, entre héritage, modernité et exclusivité.
La French Touch : Quels ont été les temps forts de Schiaparelli sur cette année 2025 ? Et quelles sont vos prochaines échéances majeures ?
Delphine Bellini : Comme pour de nombreuses maisons, l’année a été jalonnée de nombreux temps forts. Les défilés haute couture et prêt-à-porter représentent évidemment des moments phares. Ils sont entrecoupés d’étapes majeures dans la carrière de célébrités et d’artistes, des temps-clés auxquels nous participons. Cela a été le cas cette année pour Beyoncé aux Grammy Awards ou lors de sa tournée Cowboy Carter Tour, Ariana Grande aux Oscars, ou encore Dua Lipa lors de sa tournée Radical Optimism.
L’ouverture de nouveaux points de vente cristallise aussi de grands moments, même si nous en ouvrons peu pour cultiver la rareté et l’exclusivité. Nous avons inauguré en 2025 un nouvel espace chez Harrods (grand magasin de luxe emblématique situé à Londres, sur Brompton Road, dans le quartier chic de Knightsbridge, ndlr), de 250m², beaucoup plus grand que celui que nous avions déjà. Nous avons également ouvert une boutique à Monaco ; l’espace éphémère que nous avions expérimenté dans le patio de l’Hôtel de Paris pendant les Jeux Olympiques de Paris a très bien fonctionné, nous avons donc décidé d’y rester. Enfin nous avons ouvert un salon privé à Dubaï, dans l’Hôtel Mandarin Oriental Jumeira, qui est devenu notre résidence là-bas.
D’autres moments sont dédiés à des célébrations plus intimes avec nos équipes, notre personnel ou nos fournisseurs, comme lors de la dernière Haute Couture Week où nous avons rassemblé ces derniers pour leur présenter la collection et le fruit de leur travail, dont ils ne sont témoins la plupart du temps que d’une petite partie.
Nous travaillons actuellement sur la saison haute couture du mois de janvier, le prêt-à-porter du mois de mars, sur de nouvelles ouvertures de boutiques et notamment un espace chez Bergdorf Goodman (grand magasin de luxe emblématique situé à New York, sur la 5ᵉ Avenue, ndlr), nous avons un projet en Asie… Nous avons aussi annoncé, au mois de juillet, une exposition dont la genèse remonte à 2022, lorsque nous avions exposé au musée des arts décoratifs à Paris. Elle est prévue pour mars 2026 et se tiendra au Victoria & Albert Museum de Londres (situé à South Kensington, le V&A est le plus grand musée au monde consacré aux arts décoratifs, arts appliqués et design, ndlr). Elle couvrira l’histoire de la maison, depuis les créations d’Esla Schiaparelli dans les années 20 jusqu’aux créations actuelles de l’actuel directeur artistique Daniel Roseberry, vêtements archives, photos…

Performance live d'Ariana Grande lors de la 97ème cérémonie des Oscars. (Photo by Kevin Winter/Getty Images)
FT : Quelle est votre vision stratégique et business pour l’entreprise, en lien avec la direction artistique de Daniel Roseberry et suivant l’héritage artistique et culturel de votre maison ?
DB : Lorsque Diego Della Valle, entrepreneur et homme d’affaires italien, rachète la maison Elsa Schiaparelli en 2007, il a un objectif précis : redonner vie à cette marque légendaire, créer du rêve avec un positionnement ultra-luxe et un imaginaire fort tel que sa fondatrice l’avait, avec le souci constant des clientes pour leur offrir des moments et des émotions hors du commun.
Depuis l’arrivée de Daniel Roseberry en 2019 à la direction artistique, nous avons voulu maintenir l’exclusivité en laissant beaucoup de place à la création, en affirmant l’expertise haute couture de la maison mais aussi en développant les lignes de prêt-à-porter et d’accessoires, avec des produits à forte valeur ajoutée en série limitée pour cultiver la rareté. L’univers de Daniel Roseberry et la couture nous offrent un terrain de jeu extraordinaire pour traduire ces pistes créatives.
Côté retail, nous travaillons sur une expansion très ciblée : peu de boutiques, et uniquement dans des emplacements prestigieux. Nous avons aussi la volonté de renforcer l’ancrage patrimonial, la valorisation de l’artisanat, du Made in France et du Made in Italy, de cultiver la singularité de la maison au travers de ses salons historiques de la Place Vendôme et de ses ateliers haute couture qui opèrent toujours. Mais aussi de faire perdurer l’héritage visuel de la maison, via des produits signatures et un storytelling authentique et riche, offrant une expérience de marque particulière.
FT : Que représente votre seconde implantation londonienne chez Harrods, d’un point de vue business ?
DB : Londres occupe une place stratégique sur le marché mondial du luxe. C’est à la fois une vitrine culturelle et un laboratoire d’innovation, en plus d’être un hub international qui concentre une clientèle européenne, américaine, moyen-orientale, asiatique. C’est un écosystème culturel et créatif incontournable, au même titre que Paris mais avec des différences notables et des institutions culturelles comme le V&A, la Tate Modern ou le Design Museum, qui soutiennent aussi la reconnaissance culturelle des maisons.
C’est aussi une capitale de la création expérimentale, on le voit au travers d’écoles comme la Central Saint Martins ou le Royal College of Arts où de nombreux talents sont formés… on y trouve une énergie libre, avant-gardiste, transversale, qui valorise l’audace, l’excentricité, la créativité conceptuelle. Londres offre aussi un effet de halo, une visibilité mondiale via la presse anglo-saxonne qui est très intéressante. Tout ceci fait de Londres non pas une priorité mais un élément essentiel dans notre stratégie.
Plus spécifiquement sur Harrods, pour une marque comme la nôtre cela représente bien plus qu’un grand magasin mais plutôt une plateforme d’influence, un lieu d’expérience client, une vitrine d’innovation et de storytelling. Nous y avions ouvert une première boutique en janvier 2023 au sein de l’espace Superbrands, dédié aux marques de luxe. Puis en peu de temps, de bonnes performances, le potentiel pour la marque et une étroite collaboration avec le grand magasin nous ont permis de nous installer dans ce nouvel espace de 250² où nous avons envisagé un concept de boutique immersive. Daniel Roseberry y a façonné un appartement parisien qui reprend les codes surréalistes de la maison, et propose une belle expérience client.

Schiaparelli, Harrods, Londres
FT : Quels autres marchés internationaux souhaitez-vous renforcer ? Le marché moyen-oriental, avec Dubaï ?
DB : On le sait, le Moyen-Orient mais aussi l’Asie, sont des accélérateurs de croissance et de désirabilité très forts dans l’univers du luxe. Ces marchés offrent des clients appréciant fondamentalement l’artisanat et le sur-mesure, peut-être les plus sensibles à la rareté. Mais aussi, ces zones proposent des infrastructures très adaptées au luxe expérientiel, ainsi que la reconnaissance culturelle pour assoir un développement pérenne sur ce segment ultra-luxe dans lequel nous évoluons. Tout ceci est très cohérent avec les valeurs que l’on porte.
FT : Votre maison a toujours puisé ses inspirations dans l’art, le surréalisme en premier lieu. Quelles synergies voyez-vous entre le secteur de la haute couture et d’autres secteurs des industries créatives ? Quelles collaborations avec d’autres univers aimeriez-vous mettre en place ou renforcer ?
DB : La haute couture alimente en images, symboles et savoir-faire les domaines de l’art, du cinéma, de la musique, du théâtre, de l’opéra, du divertissement, de l’architecture, du design, et même du digital... Elle nourrit de nombreux imaginaires, et en ce sens je pense qu’elle est aujourd’hui le cœur battant des industries créatives : les marques de haute couture créent des icones visuelles, en retour les images produites par les autres secteurs amplifient leur portée émotionnelle et commerciale. Cela nous permet aussi de rester pertinents et nous amène à innover : ces synergies entre les univers existent car ils se nourrissent les uns les autres, affirmant à la fois leurs dimensions culturelle et affective, et incite les maisons de couture à être de vrais laboratoires d’expérimentation où l’on va pouvoir s’essayer aux nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, l’impression 3D, les tissus intelligents ou la réalité augmentée, des pratiques que nous pouvons emprunter à d’autres univers, du design industriel au jeu vidéo. Nous restons en exploration permanente.
FT : Le marché du luxe connaît des turbulences. Quels sont les principaux enjeux rencontrés dans l’ultra-luxe, et comment y répondez-vous ?
DB : Notre marché est très tendu. Chez Schiaparelli, nous avons choisi un positionnement particulier et finalement nous y répondons par une forme de radicalité : nous assumons un modèle fondé sur la création pure, la rareté, la culture, la lenteur aussi, tout en construisant un rayonnement mondial et en renforçant notre différenciation par la puissance artistique. Nous avons envie de continuer à prouver que l’émotion, la singularité, la pensée, peuvent et doivent rester les seuls véritables leviers de désir, en évitant absolument de rentrer dans la saturation et la polarisation qui peuvent exister pour ne pas être affectés par les tensions de marché. Nous essayons, par exemple, de transformer chaque défilé en un véritable moment culturel et Daniel Roseberry y travaille via des thématiques fortes en sens comme les collections couture « Icarus » (présentée en janvier 2025 lors de la Semaine de la Haute Couture, ndlr) ou « Back to the Future » (présentée en juillet 2025 lors de la Semaine de la Haute Couture, ndlr).
Nous sommes aussi convaincus que notre héritage est un levier, pas de nostalgie mais bien d’avenir, pour continuer de nous développer sans diluer notre identité et en restant focalisés sur notre rôle et nos clientes.
FT : Si vous deviez identifier une opportunité business majeure pour votre entreprise, quelle serait-elle ?
DB : Elsa Schiaparelli notre fondatrice, a travaillé tous types de produits, et la maison est légitime pour énormément de choses. A l’heure actuelle nous avons la haute couture, le prêt-à-porter, les accessoires, mais nous avons encore beaucoup d’univers sur lesquels nous développer. Nous avons par exemple, encore à peine effleuré l’art de vivre, et Daniel Roseberry a beaucoup d’envies autour de cela, dans le futur nous regarderons aussi du côté du parfum et de la cosmétique…
FT : Qu’attendez-vous de l’événement We Are French Touch, le mercredi 26 novembre ? Quelles sont les raisons de s’y rendre pour les professionnels de votre secteur ? Pourquoi est-il essentiel pour les entrepreneurs de se rencontrer et d’échanger lors d’événements comme celui-ci ?
DB : Il n’y a pas beaucoup d’événements qui permettent une réelle plongée au cœur de notre écosystème : finalement, chaque maison et chaque marque rencontre ses enjeux et a ses propres temps forts, nous avons peu d’occasions et de temps pour se regrouper réellement, encore moins avec les professionnels d’autres secteurs pour les synergies sont nous parlions tout à l’heure : We Are French Touch sera le moment opportun pour cela.
Cet événement permet également de prendre part à une dynamique collective, qui doit servir à façonner, protéger et continuer de faire rayonner la réputation et la compétitivité de la France à l’international.
We Are French Touch est aussi le moment opportun pour capter les tendances émergentes, d’accéder à des insights stratégiques sur la transformation du secteur : les enjeux de durabilité, l’IA générative, les nouvelles expériences clients, les nouvelles chaînes de valeur créatives… et réfléchir ensemble à l’avenir de la création et de l’innovation en France.
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