Jusqu’au 26 janvier, Le Louvre Lens propose pour la première fois une vaste rétrospective consacrée au gothique, du XIIe siècle à nos jours. Rassemblant 250 œuvres, l’exposition plonge le visiteur dans l’univers des grands bâtisseurs de cathédrales, avant de révéler, en fin de parcours, la flamboyante résurgence du gothique au cœur de la culture pop contemporaine.

1/ Gothique avant l’heure

Le gothique naît en Île-de-France vers 1140. Bien qu’il ne porte pas encore ce nom, il constitue déjà une véritable révolution artistique. Inspiré par les modèles de l’Antiquité, le nouveau courant rompt avec l’art roman. Symbole du pouvoir royal et de l’essor urbain, et porté par le progrès technique, le gothique s’impose comme un art total qui englobe d’abord l’architecture (avec la fameuse voûte sur croisée d’ogives) et la sculpture, puis vitraux, manuscrits… En cinquante ans, les artistes vont diffuser dans toute l’Europe ce nouvel art. Un grand nombre de nos plus belles cathédrales y répondent. Le gothique s’incarne par une conquête de lumière et d’élégance. Drapés épais et plis viennent habiller les silhouettes des sculptures, comme en témoigne la gracieuse statue de Sainte Marie Madeleine de Génicourt (1524) présente (en reproduction) dans l’expo.

2/ Goth toi-même !

À la Renaissance, le gothique n’a pas encore de nom. Ce sera seulement vers 1520, dans une lettre de Raphaël à destination du pape Léon X, que le terme apparaît pour la première fois. « Gothique » n’est alors rien de plus qu’une insulte : il désigne un art jugé archaïque, digne du Moyen Âge et qu’il faudrait délaisser. Le mot fait référence aux Goths (prononcer « go »), peuple germanique au comble du barbarisme. Une illustration de cette idée se retrouve dans la peinture de Joseph-Noël Sylvestre, « Le sac de Rome en 410 par les Barbares » (1890), où le pillage de la capitale romaine par les Wisigoths, responsables de la chute de Rome, met en scène cette barbarie, en contraste avec la grandeur de la capitale antique. Ici, le thème est revisité par l’artiste Agathe Pitié, dans un triptyque inédit, conçu spécialement pour l’exposition, où surgissent des gothiques contemporains.

3/ Quand le gothisme s’enracine

Au fil des siècles, l’art gothique s’impose comme un héritage culturel majeur. Au XIXe siècle, il connait un renouveau spectaculaire dans les arts avec le néo-gothique, porté par de grands architectes, tels que Viollet-Le-Duc. Ce style inspirera ensuite le structuralisme de l’architecture moderne, jusqu’aux gratte-ciels américains. Fini le temps de l’Antique, de la Renaissance ou de l’âge classique : en France, le gothique est désormais proclamé art national. En 1831, Victor Hugo célèbre cette grandeur dans « Notre-Dame de Paris », monument à la beauté délabrée. Tandis que le musée de Cluny, aujourd’hui musée national du Moyen-Âge, ouvre ses portes dans d’anciens thermes romains. Le gothique apparaît alors comme l’expression d’un romantisme flamboyant.

4/ Virer au noir

Au Moyen-Âge, le gothique est synonyme de lumière et de couleurs : les stucs polychromes et les vitraux éclatants de rouge, de bleu et d’or en témoignent. Ce n’est que bien plus tard que le gothique se teinte d’ombre et de noirceur, devenant la référence de la culture goth contemporaine. Vers 1800, la suppression des couvents et des abbayes contribue donne une vision macabre de l’art médiéval. Au XIXe siècle, le romantisme et l’essor du néo-gothique accentueront cette perception : ruines, jardins abandonnés et clair-obscur dominent les scènes romanesques, faisant de l’église gothique le décor idéal. De ce mouvement naît un univers en noir et blanc, inquiétant et fantastique, où la comédienne Sarah Bernhardt, les poètes Edgar Allan Poe et Baudelaire deviennent autant de références. Premiers influenceurs Goths.

5/ Le renouveau du médiévalisme

Depuis quelques années le Moyen Âge connaît un retour remarqué dans la culture contemporaine, avec des références aussi pointues que populaires. Croisé au gothique noir, il donne naissance à des œuvres comme la robe-cathédrale d’Iris van Herpen, les peintures sanguines d’Alison Flora réalisées avec son propre sang ou encore le triptyque de Sacha Cambier évoquant Jérôme Bosch. Le gothique s’affirme désormais sur les cinq continents, comme le montre le « moodboard » clôturant le parcours. De Mylène Farmer (Never more) à Batman, superhéros aperçu dans la Sagrada Familia, dernier grand édifice gothique en construction, en passant par Twilight et Game of Thrones, parfait acronyme de « Goth » : le gothique s’impose comme un langage universel.