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Shocking, une exposition pour redécouvrir le travail d’Elsa Schiaparelli

Conservatrice au Musée des Arts décoratifs de Paris, Marie-Sophie Carron de la Carrière signe le commissariat d’une rétrospective Elsa Schiaparelli qui se tient du 6 juillet 2022 au 22 janvier 2023. Vingt-ans après une première rétrospective, le Musée des Arts décoratifs, qui détient dans ses collections une série unique de plus de six mille dessins de la Maison Schiaparelli ainsi qu’un ensemble de vêtements et d’accessoires, fait (re)découvrir le travail de ce grand nom de la mode à la nouvelle…

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Shocking, une exposition pour redécouvrir le travail d’Elsa Schiaparelli

Conservatrice au Musée des Arts décoratifs de Paris, Marie-Sophie Carron de la Carrière signe le commissariat d’une rétrospective Elsa Schiaparelli qui se tient du 6 juillet 2022 au 22 janvier 2023.

Vingt-ans après une première rétrospective, le Musée des Arts décoratifs, qui détient dans ses collections une série unique de plus de six mille dessins de la Maison Schiaparelli ainsi qu’un ensemble de vêtements et d’accessoires, fait (re)découvrir le travail de ce grand nom de la mode à la nouvelle génération. « Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli » est aussi la première exposition à mettre en lumière, à travers tableaux et photographies, les liens qui unissaient la couturière à l’avant garde artistique de l’époque.

“ Un vêtement d’Elsa Schiaparelli est l’équivalent d’un tableau de maitre ”

Cette rétrospective réunit 520 œuvres dont 272 costumes et accessoires de mode. Quelle est la complexité de réunir autant de pièces au sein d’une exposition ?

Un vêtement d’Elsa Schiaparelli est l’équivalent d’un tableau de maître. C’est une pièce de couture ancienne, très fragile, qui ne peut être exposée dans une vitrine plus d’un certain temps. À la suite de cette exposition qui dure sept mois, les costumes que vous allez voir ne pourront plus être exposés pendant sept ans. Notre chance est que les vêtements de la collection de l’Union française des arts du costume (UFAC) proviennent de la propre garde-robe d’Elsa Schiaparelli et que leur état de conservation est remarquable.

L’exposition s’intitule « Schocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli ». Qu’il y a-t-il de choquant chez celle qu’on surnommait « Schiap » ?

En 1937, elle baptise « Shocking » l’un de ses parfums. Ce sera ensuite le titre de ses mémoires Shocking Life, qu’elle publie en 1954. C’est donc un mot qui lui appartient. Un mot anglais : rappelons qu’elle a vécu à New York. C’est aussi un mot qui sonne. On comprend donc à quel point Elsa Schiaparelli avait le sens de la communication. Elle connaissait le sens et la musique des mots. Il évoque aussi sa condition de femme libre : Elsa Schiaparelli arrive à Paris, en 1922, seule avec sa fille. C’est une femme émancipée, son mari l’a quittée et elle doit subvenir aux besoins de sa famille. En creusant le sujet, j’ai découvert que l’emploi du rose fuchsia par la modiste est aussi “shocking”. Notamment car, pour les surréalistes dont Dali, il s’agit de la couleur du sexe féminin. Elsa Schiaparelli l’écrit dans ses mémoires. Ce rose est le symbole de zones sombres, profondes, parfois dangereuses qui sont des points limites dans lequel l’imaginaire peut s’engouffrer. Mais ça peut être aussi un titre d’exposition pétillant et claquant.

On parle beaucoup de son influence sur les couturiers d’hier et d’aujourd’hui. Quel est son héritage ?

Elle a grandi dans un milieu aristocrate italien très cultivé. Elle est née à Rome et a vécu dans le Palais Corsini. Son père était directeur de la bibliothèque de ce palais. Dès sa plus jeune enfance, elle a accès à des enluminures du Moyen Âge. Des œuvres très colorées qui mettent en image tout ce qui est de l’ordre du discours symbolique, de la mythologie, des histoires religieuses. Au fond, la mode d’Elsa Schiaparelli est à l’image de ces enluminures : érudite et en même temps très accessible, avec un aspect naïf, mais au contenu exigeant ou profond auquel seuls les initiés ont accès. L’ambition de cette exposition : rendre accessible tous les contenus des vêtements, des décors, des broderies et des images en donnant les clés d’interprétation.

“ C’est une beauté non convenue, et même choquante ”

La quête de la beauté, de l’esthétisme, n’est-elle pas la grande affaire de sa vie ?

Oui, mais c’est une beauté qui peut être dérangeante. Elsa Schiaparelli ne se trouvait pas belle. Quand elle rencontre Man Ray à New York, au début des années 20, il lui propose de venir dans son atelier pour la photographier. Il faut se la représenter comme une femme de petite taille qui n’a pas une silhouette de rêve. Man Ray voit son physique original, il comprend aussi qu’elle capte la lumière. Elle devient donc une figure récurrente de sa photographie. Mais c’est une beauté non convenue, et même choquante. C’est une beauté qui continue d’être vivante et attirante à l’époque de la diversité des types physiques.

Quel est le contexte artistique quand « Schiap » débarque à Paris dans les années 20 ?

À Paris, la mode est à la tendance garçonne. Dans l’exposition, on voit le portrait de Madame Agnès, les cheveux très courts. C’est l’incarnation de la femme moderne avec une élégance folle. Madame Agnès est une modiste, mais aussi une artiste. Comme Elsa Schiaparelli elle fait de la mode parce que la mode lui permet de gagner sa vie. En 1925, se tient la grande Exposition internationale des arts décoratifs et industriels. La photographie (exposée dans la deuxième salle, NDLR) prise par Man Ray d’Elsa Schiaparelli dans une robe à plis, peinte en trompe-l’œil par Jean Dunand, illustre tout à fait cette période d’effervescence. Le grand laqueur Jean Dunand incarne alors ce mouvement créatif de l’époque qui mélange les arts décoratifs et la mode. La curiosité d’Elsa Schiaparelli lui permet de s’ouvrir à toutes les expériences. Ce qui l’excite et l’intéresse, ce sont les autres domaines artistiques et aussi le folklore des pays lointains. Les artistes comme Cocteau et Dali l’inspirent et font naître des idées qu’elles intègrent immédiatement dans ses créations vestimentaires.

“ Une salle est dédiée au tandem qu’Elsa Schiaparelli formait avec Dali ”

À l’inverse, quel élan insuffle-t-elle en venant de New York ?

Elle arrive avec tous ses contacts, celui de Man Ray bien sûr, mais aussi Marcel Duchamp qu’elle a rencontré aux États-Unis, mais également Gabrièle Picabia, épouse de l’artiste dadaïste Francis Picabia. Elle arrive avec une vision de la mode très américaine. New York à l’époque représente la modernité. C’est par le Vogue américain que la petite robe noire de Chanel est d’emblée reconnue en 1926. Même succès outre-Atlantique, l’année suivante, quand Elsa Schiaparelli lance ses premières créations et ses sweaters à motifs en trompe-l’œil.

Comment l’exposition met-elle en avant la profonde fascination que la créatrice avait pour l’art et les artistes ?

Une salle est dédiée au tandem qu’Elsa Schiaparelli formait avec Dali. À l’époque, il incarne le surréalisme, mais il n’est pas encore l’immense artiste qu’on connaît aujourd’hui. Elle et lui partagent le même imaginaire porté par l’exploration des rêves et de l’inconscient. Ils ont en commun ce goût du jeu et de la transgression que l’on retrouve dans la collection de vêtements de 1937 qu’elle crée avec lui. Issue de cette collection, la « robe homard » que l’on peut voir portée par Wallis Simpson avant que celle-ci n’épouse le duc de Westminster. Une robe virginale, évidemment très sexuée. Dans cette salle, Elsa Schiaparelli apparaît aussi sur une photographie des années 50 avec Dali. C’est toujours ce jeu de détournement de motifs et matériaux qui s’opère.

“ La mode, pour s’adresser au plus grand monde, doit habiller les célébrités mondiales ”

S’il fallait retenir, dans cette rétrospective, un seul costume, lequel choisir ?

Ce serait cette veste du soir datée du printemps 1940. La veste est conçue par Elsa Schiaparelli et présentée en 1939. On est à un mois de la déclaration de guerre. Il y a tout ce contexte historique qui permet de comprendre pourquoi ces magnifiques poches brodées à soufflet sont importantes. La collection dans laquelle ce costume s’intègre s’appelle « Cash & Carry ». C’est une veste d’une élégance inouïe avec un col brodé en forme de collier et des boutons dorés tressés comme de la passementerie. Elle permet à la femme qui doit s’abriter de remplir ses poches du nécessaire tout en restant chic.

La dernière salle de l’exposition est consacrée à la Maison Schiaparelli, aujourd’hui dirigée par le nouveau directeur artistique, l’Américain Daniel Roseberry. Qu’a-t -il su retranscrire de l’esprit d’Elsa Schiaparelli ?

L’inspiration surréaliste d’Elsa Schiaparelli. Par exemple avec cette silhouette que l’on retrouve dans l’exposition portée par Bella Hadid lors du Festival de Cannes 2021. Habillée d’une robe fourreau noire dévoilant buste et poitrine, la mannequin américaine porte un bijou évoquant une structure végétale dont les ramifications qui évoquent des poumons. Elsa Schiaparelli habillait des femmes célèbres comme Marlène Dietrich dont on retrouve l’un des tailleurs dans l’exposition, ou encore Mae West dont on peut voir les séquences de film. Aujourd’hui la mode, pour exister et s’adresser au plus grand monde, doit habiller les célébrités mondiales. Daniel Rosebery l’a compris et créé des vêtements et accessoires qui leur correspondent, qui frappent les esprits à travers un message efficace et accessible à tous. L’exemple parfait, c’est la tenue, de Lady Gaga qui apparaît dans une robe ornée d’une colombe de la paix, lors de l’investiture de Joe Biden.

Photo :  Vue de l’exposition « Shocking! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli » © Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

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