Cordélia de Castellane, de Brueghel à Anna Karénine
Cette entrepreneuse et créatrice au style maximaliste déploie ses talents au gré de collaborations multiples, diverses et prestigieuses. Entre deux rendez-vous, Cordélia de Castellane nous a ouvert le carnet de ses inspirations.
crédits Matthieu Salvaing
En quelques années à peine, Cordélia de Castellane a imprimé son style décoratif sur nombre de lieux emblématiques parisiens, de l’Abbaye des Vaux de Cernay à Maxim’s, de Ladurée au Laurent, sans oublier son Coffee Flower Shop de la rue du Bac, ainsi que Dior Maison et Baby Dior pour lesquels elle imagine chaque année plusieurs collections. Fée discrète de fêtes fastueuses, cette autodidacte guidée avant tout par l’intuition n’a pourtant rien de mondain : loin des salons parisiens, elle préfère la quiétude de sa maison et de son jardin, à la fois anglais et français, niché près de Chantilly, où elle puise sa plus grande inspiration.
Abbaye des Vaux de Cernay - Cordelia de Castellane
L’automne
J'adore cette troisième saison. Beaucoup redoutent ses nuits qui tombent tôt, mais moi, j’aime cette mélancolie rassurante. Extrêmement casanière, j'en profite pour passer du temps à l'intérieur, mais c’est aussi la saison où je réinvente mon jardin. Chaque année, j’ai cette appréhension mêlée d’excitation : quelques lignes vais-je modifier, quelles nouvelles variétés de tulipes vais-je découvrir ? Ce sont de questions de jardinière, tout simplement. Superstitieuse, je ne prévois jamais rien longtemps à l’avance : prendre un billet d’avion pour l’été me fait déjà hésiter, et penser aux vacances de Noël me donne des palpitations, fin septembre à peine. Pourtant, le jardin m’oblige à planifier, ce qui va à l’encontre de ma nature. Même si je n’étais plus là, je sais que le jardin continuerait de s’épanouir... Cette année, je suis à la recherche des iris les plus rares et extraordinaires : un bout du jardin leur sera entièrement consacré. Pour l’instant, c’est encore l’heure des cosmos, des dahlias, des hortensias, des tournesols... Ils ont fleuri avec trois semaines d’avance sur les autres années. C’est un jardin en perpétuel mouvement, et c’est ce qui me passionne.
Le « Panier de fruits » de Jan Van Brueghel
Cette nature morte, que j’ai revue il y a quelques mois, m’inspire profondément, à l’instar des peintures du XVIIe et du XVIIIe siècle. En ce moment, le grand classicisme m’interpelle et nourrit mon imagination pour créer des décors et composer des tables. Cette peinture de Jan Van Brueghel sera d’ailleurs l’une des sources d’inspiration pour ma prochaine table de Noël chez Dior. Je suis une classique assumée ! J’adore flâner dans les grands musées, Jacquemart André, le Louvre... Dans mon univers créatif, c’est toujours l’Histoire qui me guide, donc l’inspiration naît souvent d’une découverte dans un musée. En ce moment les portraits du musée d’Orsay, par exemple, ou le Met à New York, où je ne manque jamais de me rendre, quand j’y séjourne, pour explorer les galeries des impressionnistes. J’aime m'asseoir au centre d’une salle et observer, des heures durant, les Renoir, les Monet, les danseuses de Degas... Je suis fascinée par ces danseuses, par la subtilité des nuances de rose, par tout ce que le geste et la couleur peuvent exprimer.
Laurent - Cordelia de Castellane
Anna Karenine
Je suis en train de relire ce chef-d’œuvre de Tolstoï. J'adore la littérature russe. Mes enfants devaient choisir certains livres, et je me suis dit : tiens, je vais le relire. Rouvrir des ouvrages découverts à l’école ou juste après, avec le recul et l’expérience de la vie, c’est fascinant : chaque page se lit différemment. Depuis trois ans, les classiques sont revenus très fort dans ma vie, alors qu’auparavant j’étais peut-être plus portée sur la fantaisie et l'excentricité. Peu à peu, je recentre beaucoup de choses. Dans ce roman, l’héroïne abandonne ses enfants pour vivre un grand amour. Cette liberté me fascine. Je suis profondément libérale sur le plan individuel : je respecte le choix de chacun, que ce soit en accord ou non avec mes valeurs. Néanmoins, je ne vois pas ce qui pourrait justifier qu’une mère abandonne ses enfants. Le lien maternel est universel, vital. Et, pourtant, ce roman me dévore : il explore cette tension entre passion amoureuse et amour maternel. La première fois que je l’ai lu, je n’avais pas d’enfants, et la tragédie m’avait échappé. Aujourd’hui, j’interroge mieux la complexité de ce choix. À l’époque, il fallait parfois choisir entre devoir et désir. Aujourd’hui, nous n’avons plus à choisir. Le livre reste bouleversant dans ce contexte historique.
Un moment de grâce à Rome
J’adore la vie et la gaieté. J'aime susciter des émotions chez les gens. Faire des fêtes, c'est éveiller les cinq sens... C'est ce qui me fait me lever le matin : offrir une émotion, même si elle n’est pas partagée par tous, peu importe, l’essentiel est qu’elle existe. L’un de mes derniers événements privés s’est tenu à Rome, dans un vieux palais aux balcons suspendus à l’italienne. J’y avais invité une chanteuse d'opéra très connue pour interpréter « La vie en rose ». Tous les invités, en robes longues et smokings, étaient disposés sur les terrasses, observant la scène dans la cour. J’avais choisi de placer la chanteuse en bas pour que la voix s’élève dans cette acoustique exceptionnelle. Puis le couple de mariés est descendu dans la cour, et la chanteuse a entamé la chanson d’Édith Piaf. Le couple et leurs deux petites filles regardaient, émerveillés, et très vite, les invités d’en haut ont commencé à chanter en chœur. Dix minutes de grâce pure : robes flottantes, visages illuminés, émotion palpable… On oubliait tout le reste, toutes les horreurs du monde, suspendus à ce moment de beauté.
La gourmandise
Je suis très gourmande, et c'est quelque chose que je découvre avec le temps. Avant, je m’intéressais surtout à la création de l’art de la table, sans vraiment réfléchir à ce qu’on y mettait dedans. Mais depuis quelques années, je travaille de plus en plus avec des chefs. Mon fils en est un. Et ce monde m’est devenu fascinant. Voir ces artistes composer des assiettes aussi belles que savoureuses m’inspire profondément. Aujourd’hui, mes propres créations me semblent même parfois un peu vides, si elles ne sont pas remplies. L’autre jour, mon fils a préparé un carpaccio de Saint-Jacques présenté en fleurs dans l’une de mes assiettes, et tout de suite, je trouvais mon assiette bien plus vivante. Je collabore souvent avec les chefs pour Dior ou pour des restaurants, et ce lien avec la cuisine a ouvert une nouvelle dimension à ma créativité. J’étais autrefois assez simple dans mes goûts, peu attentive aux subtilités culinaires. Mais maintenant, je comprends que ce cinquième sens, le goût, peut être aussi fondamental que la vue ou le toucher dans l’acte créatif. C’est une source d’inspiration à part entière.
Ladurée - Cordelia de Castellane
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