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Au cinéma, la féminisation toujours en second rôle

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féminisation du cinéma

Si des marches du Festival de Cannes aux salles obscures, les réalisatrices sont de plus en plus nombreuses à faire parler d’elles, le monde du cinéma tarde encore à se féminiser.

Au terme de sept années de mandat, Pierre Lescure cèdera début juillet son siège à l’Allemande Iris Knobloch, qui deviendra la première femme à présider le Festival de Cannes. Une nomination qui s’ajoute à celle récente d’Ava Cahen à la tête de la Semaine de la Critique. La féminisation du cinéma fait partie des grands défis qu’elles auront à mener. On fait le point sur les chantiers en cours, les blocages qui persistent et les espoirs à concrétiser.

Vers plus de parité

« Moins visibles, moins primées, moins payées ». C’est sur ce triple constat que s’amorce la nouvelle série Les Effrontées diffusée sur France TV juste avant Cannes et aujourd’hui accessible en ligne. Ce documentaire en quatre volets prend le temps d’explorer la place des femmes depuis les débuts du cinéma à nos jours. Quatre ans après l’affaire « Weinstein », le cinéma conserverait donc sa réputation d’art éminemment « genré ».

Le dernier état des lieux du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) montre que 25% des films français ont été réalisés (ou coréalisés) par des femmes, après une hausse de six points entre 2010 et 2019. Timide rattrapage pour cet art en quête perpétuelle d’avant-garde, mais où le conservatisme domine. En 2022, les métiers des petites mains, du scripte au costume en passant par le maquillage, sont majoritairement féminins. Quant au poste de mixeur, dernier maillon de la chaine de fabrication d’un film, celui-ci reste traditionnellement confié à un homme. Côté production : à compétences égales, le budget moyen d’un long métrage d’une cinéaste est presque deux fois moindre qu’un cinéaste. Passé un certain nombre de millions d’euros il n’y a que des réalisateurs, résume-t-on dans le milieu.

La France a pourtant mis en place différentes initiatives pour accélérer la féminisation du secteur. Depuis 2018 : parité des présidences et des membres des commissions du CNC, création d’un observatoire, obligation de statistiques de genre, obligation d’une formation pour lutter contre le harcèlement sexuel… Sous l’impulsion du Collectif 50/50, qui milite pour la parité et la diversité, le Centre a aussi distribué des aides pour les films dont les équipes sont paritaires. L’an dernier, ce bonus (+15% du fonds de soutien) a bénéficié à 32% des films (dont Titane et l’Événement), contre un petit quart en 2019.

Pour la chercheuse en cinéma Brigitte Rollet, spécialiste des questions de genre, si l’on veut que le cinéma cesse un jour d’être « cet art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes », selon la formule attribuée (à tort) à François Truffaut, les mesures doivent se poursuivre et se multiplier. Et de lister : « attribution des bonus à des films qui ne mettent pas systématiquement les filles dans des situations d’hypersexualisation, soutien des distributeurs mettant en avant des films dérogeant aux règles implicites des représentations du féminin et du masculin. Ce serait aussi inclure dans les programmes des écoles de cinéma un pourcentage de films faits par des femmes, ainsi que des réalisatrices dans les programmes de la Cinémathèque ». Le cinéma hexagonal souffrirait aussi d’une certaine exception française, poursuit l’observatrice. « En plus du poids des habitudes socio-culturelles, nous sommes le seul pays à porter le principe de l’universalisme républicain selon lequel tous les citoyens sont égaux, et cette tradition ici se révèle être un obstacle. Les autres pays qui n’ont pas cette tradition universaliste abordent la question de la féminisation de façon plus directe. En Allemagne par exemple la Berlinale fournit des statistiques genrées depuis 2004 ».

Des festivals aux avant-postes ?

2021 reste l’année du sacre des réalisatrices dans les festivals. Avec d’abord Chloé Zhao à Hollywood : son film Nomadland a remporté en avril l’Oscar du meilleur film. Depuis la création de la cérémonie en 1929, seule une femme avait obtenu la statuette : Kathryn Bigelow en 2010. En juillet, Julia Ducournau décroche à son tour la Palme d’Or à Cannes pour Titane. Elle devient la deuxième cinéaste à obtenir le prix, 28 ans après Jane Campion. Enfin, à Venise, Audrey Diwan remporte le Lion d’or pour L’Événement. Un symbole fort pour les défenseurs de la parité.

Pas assez, disent la plupart des observateurs pointant du doigt l’habituelle faible représentation des femmes dans les sélections officielles de Cannes, maillon faible du Festival. Cette année elles étaient cinq (sur 21 films) à participer à la compétition contre quatre l’année dernière, ce qui marque tout de même un record. La part s’améliore dans les sections parallèles : cinq films réalisés par des femmes sur 11 longs-métrages sélectionnés à la Semaine de la Critique et 11 réalisatrices sur un total de 23 films à la Quinzaine des réalisateurs. A l’arrivée ? Le jury de 2022 n’a guère à rougir de ses choix, récompensant, en sélection officielle, les réalisatrices Claire Denis (Grand prix ex-aequo pour Stars at noon), Riley Keough et Gina Gamelle (War Pony) et Charlotte Vandermeersch (qui coréalise Les Huit Montagnes avec son mari). Tandis que le prix French Touch se distingue également en primant l’Écossaise Charlotte Well (Aftersun).

Il faut dire que le plus grand festival de cinéma au monde s’est placé comme l’observatoire privilégié de la condition féminine depuis la fameuse montée des marches en 2018, hommage aux 82 femmes sélectionnées depuis la première édition en 1946 (contre 1 688 hommes). Emmené par Cate Blanchett en flamboyante présidente du jury accompagnée d’Agnès Varda, le mouvement avait appelé les festivals du monde entier à signer une charte de la parité et d’égalité salariale. L’événement a marqué les esprits. Depuis, environ 180 festivals se sont engagés. Parmi les grands rendez-vous à tenir promesse, la Berlinale montre la voie. Sa dernière édition, en février, a proclamé cinq femmes gagnantes, sur neuf des prix de la compétition, incluant l’Espagnole Carla Simon et de nouveau Claire Denis. Une féminisation qui se traduit aussi sur les écrans avec un nombre significatif de films de la sélection portés par des héroïnes, de Juliette Binoche dans Avec amour et acharnement à The Novelist de Hong Sang-soo, récit des déambulations d’une écrivaine à Séoul.

Les figures de proue

Renverser les imaginaires et les représentations. La bataille de la féminisation passe évidemment aussi par les contenus des films. Témoignant dans la série documentaire Les Effrontés, la réalisatrice d’Entre les vagues Anaïs Volpé incarne cette génération qui porte haut les valeurs de la sororité et bouscule les conventions et les regards. Sans oublier les aînées, Céline Sciamma, Valérie Donzelli, Mia Hansen-Love, Rebecca Zlotowski, déjà engouffrées dans une brèche ouverte par Claire Denis, Noémie Lvovsky à l’époque… En France les combattantes ne manquent guère à l’appel.

Pour la chercheuse Brigitte Rollet, le défi des prochaines années n’est pas tant de faire émerger de nouveaux talents que d’inscrire les femmes cinéastes dans l’histoire cinématographique. « Il est très rare de trouver des terrains narratifs ou formels qui n’ont pas encore été explorés. A Cannes dans les années 80 et 90, on trouve déjà des réalisatrices qui font bouger les lignes comme Claire Devers ou Pascale Ferran, chacune Caméra d’or pour leur premier film. Pourtant ces réalisatrices ont quasiment disparu ou tournent peu au cinéma. La quête permanente de nouveaux profils dans laquelle nous enferme les médias empêche de penser de façon plus globale et nous prive, au nom d’une mode, d’apprécier d’autres imaginaires et d’autres regards ».

Signe des temps : s’il ne faut citer qu’un exemple de catalyseur, parmi les sorties récentes, ce serait Dix pour cent. Selon Brigitte Rollet la série aux plus de quatre millions de téléspectateurs (en saison 1) joue le rôle d’ovni dans le paysage audiovisuel français. « D’abord parce que la série a été portée par trois acteurs majeurs très différents que sont Canal+, France TV et Netflix. Ensuite parce que le personnage de lesbienne non repentant campé par Camille Cottin envoie des indices forts de possibilités de changement. » La chercheuse rappelle qu’il est rarissime en France de trouver à une heure de grande écoute sur une télévision publique, une série avec une lesbienne qui échappe aux tropes habituels des personnages LGBT et qui, au contraire, n’est pas réduite à sa sexualité qu’elle vit de manière totalement ouverte et libre. « Quand on connait le fonctionnement des médias, on peut imaginer sans peine que le succès de la série (écrite par une femme d’ailleurs) et la popularité du personnage d’Andréa encourageront d’autres fictions moins normées ».

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