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Les musées à l’œuvre dans la décarbonation

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Bannière Louvre

La transition écologique s’impose à tous. Les acteurs de la culture s’interrogent et s’organisent. Face à eux, les enjeux liés à l’accélération des bouleversement climatiques et de la perte de la biodiversité.

La programmation d’un spectacle de Jérôme Bel dans les salles du Louvre début octobre n’aura certainement pas échappé aux fans du chorégraphe français. Mais au-delà de l’attrait pour sa danse minimaliste, on pouvait aussi se réjouir de la portée environnementale de l’évènement tant Jérome Bel fait figure de représentant de cette mouvance d’artistes actifs dans la transition écologique. A l’époque du confinement l’enfant terrible de la danse contemporaine avait en effet déclaré mettre un terme, pour lui et ses interprètes, aux déplacements en avion, tout en continuant à produire des spectacles dans le monde entier, en suivant par exemple les répétitions en visioconférence quand le train n’est pas possible. Dont acte : la directrice de sa compagnie déclarait récemment que l’empreinte carbone de la troupe était passée de 54 tonnes équivalent CO2 par an à une tonne, pour un nombre identique de dates de représentations à l’étranger ! Belle performance.

Cette conscience écologique, l’activiste chorégraphe la partage avec l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual avec qui il a écrit « Danse non humaines » présenté en ce mois d’octobre dans les galeries du premier musée au monde, une déambulation dansée incarnant une vision non anthropocentrée des corps… Un engagement d’autant plus remarqué que le bilan carbone du Louvre, avec quatre millions de tonnes équivalent CO2 par an, dont 99% attribuées au transport de ses visiteurs étrangers, explose littéralement les compteurs ! Entre affluences touristiques, grandes mises en scènes contemporaines, facture énergétique lourde, c’est bien sûr tout le secteur muséal, et même l’ensemble de nos activités culturelles, qui se trouve pointé du doigt sur les questions de la transition à mener. Alors qu’au même moment un mouvement inverse se dessine dans l’art contemporain ! Une tendance impulsée cette fois par les artistes témoignant d’une sensibilité grandissante envers le vivant, autant dans les œuvres que dans les thématiques abordées lors de ces mêmes expositions.

Au premier rang des causes de pollution ? Les déplacements des visiteurs. Dans son rapport dédié à la décarbonation des secteurs de la culture, publié en 2021, le think tank The Shift Project rappelait ainsi que la moitié des 87 millions de nos touristes internationaux visitant notre patrimoine contribuent massivement à l’empreinte carbone des grands musées. La production d’expositions avec des œuvres nombreuses et en provenance de destinations lointaines alourdit la facture, souligne le rapport dénonçant une « course à l’armement » et même une « évènementialisation » de la culture. « Toute création d’œuvre ou de scénographie demande de l’énergie pour ses intrants (matériaux), pour ses procédés de transformation, pour sa diffusion (notamment à cause des volumes et des masses déplacés au cours d’éventuelles itinérances), ainsi que lors de sa fin de vie (déchets et autres « externalités négatives »)».

Face à ce constat : la nécessité de faire évoluer les pratiques ! Et, dans les arts visuels, The Shift Project de lister : renoncer aux formats d’exposition exceptionnels pour envisager une esthétique d’exposition différente, exclure les matériaux les plus polluants comme la moquette et le polyane, renoncer au recours parfois inconsidéré (sic) à des dispositifs de transport ultra sécurisés (voitures suiveuses, caisses isothermes…) quand l’œuvre peut être transportée différemment (accompagnement physique des œuvres, convoiement digital, etc). Et, évidemment, diminuer le nombre d’œuvres exposées et réduire la distance parcourue par ces dernières… Le Palais des Beaux-Arts de Lille s’y est risqué l’hiver dernier avec « Expérience Goya », « démontrant qu’il est possible de produire une exposition de qualité en recherchant à la fois un propos scientifique et culturel riche et une empreinte écologique maîtrisée », selon The Shift Project.

A l’occasion du montage de sa nouvelle exposition permanente baptisée « Urgence climatique » menée par le climatologue Jean Jouzel, la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, s’est, elle aussi, fortement embarquée dans le processus. Ainsi l’exposition a été réalisée avec l’objectif de minimiser l’empreinte grâce à une durée de vie longue, d’au moins dix ans, et des structures en bois réutilisables. Pour sensibiliser les visiteurs, la Cité a mis en place un tarif « mobilité durable (12€ au lieu de 13€) pour les visiteurs qui viendraient à vélo sur la présentation d’un ticket de vestiaire prouvant le dépôt d’un casque. Sobriété, écoconception des expos, cycles de vie des œuvres et des matériaux sont désormais des questions concrètes sur lesquelles œuvrer… Mais sur le fond aussi, le secteur s’interroge. Il y a un an le Centre Pompidou qui se prévaut d’être la première institution culturelle publique à obtenir la certification HQE utilisation durable organisait le forum public « Climat, quelle culture pour quel futur ? » en présence d’éminents représentants de la cause. Trois jours pour réfléchir en présence d’artistes, de chercheurs, d’anthropologues comme Philippe Descola, d’activistes comme Camille Etienne, d’économistes comme Timothée Parrique ou encore d’entrepreneurs comme Éva Sadoun. Tandis que sur le terrain des collectifs s’organisent, à l’instar des Augures fondés par quatre consultantes, pour accompagner les musées, les collectivités mais aussi les écoles d’art souhaitant actionner et formaliser leur transition… Améliorer l’isolation thermique des bâtiments, délocaliser des musées hors les murs, grouper les transports d’œuvres, avoir recours systématiquement aux ressourceries pour la création et la fin de vie des scénographies sont autant de pistes concrètes, tout comme revoir les liens de mécénat avec les industries polluantes… Puisqu’il n’aura échappé à personne que l’art, et en particulier les œuvres les plus célèbres (une copie de « La Cène » de Léonard de Vinci à la Royal Academy of Arts, « Printemps » de Botticelli aux Offices à Florence, etc), figurent en tête des cibles de l’activisme écologique. S’attaquer à la vitre d’une toile de maître fait désormais partie des actions spectaculaires à la portée beaucoup plus fortes que n’importe quelle autre. L’art n’est pas l’ennemi, peut-on rétorquer. Il montre toutefois par là même qu’il se trouve très près du cœur du réacteur.

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