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Quand nos jouets tombent le masque

Troisième exposition du Hangar Y, nouvel espace culturel situé dans le premier hangar à dirigeables au monde, à la lisière de la forêt de Meudon, « Rayon Jouets » se joue de nous et de l’amour inconditionnel porté à nos doudous et jeux d’enfants. Révéler la face cachée des jouets, de l’incontournable Barbie aux maisons « Sylvanians », telle est l’ambition de cette exposition drôlement bien menée par les deux commissaires en chef Anne Monier Vanryb et Cédric Fauq. En se prêtant au jeu du questionnaire de Proust, ce dernier présente ces artistes qui ont fait du jouet leur objet d’exploration et révèle à la French Touch quelques-unes de ces facéties bien dissimulées.

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Design Sans Titre (8)

Le visiteur pénètre dans « Rayon Jouets », exposition pour petits et grands du Hangar Y, installée jusqu’au 22 septembre dans les deux mezzanines de l’ancien hangar à dirigeables, comme s’il entrait dans un magasin de jouets. Et, comme dans un grand magasin de jouets, les enfants n’auront le droit de ne toucher … qu’avec les yeux ! Un préambule qui a son importance, tant cette exposition scénographiée par l’artiste d’origine argentine Ad Minoliti, rassemblant presque autant d’œuvres d’art contemporain (50) que de jouets anciens (80) provenant d’institutions majeures, donne à vivre par tous les sens cet irrésistible univers. Un ludique jeu de piste proposé par Anne Monier Vanryb, conservatrice en charge de la collection de jouets du musée des Arts décoratifs de Paris, Cédric Fauq, expert en art contemporain et responsable du service des projets du CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, ainsi que Blanche de Lestrange pour la Fondation Art Explora. Retomber en enfance ? Mais pour la juste cause. Quoi de mieux, en cette époque brouillardeuse, de remonter la piste de ces années d’innocence… D’autant que « Rayon Jouets » propose une critique sur la façon dont le jouet conditionne nos systèmes de compréhension du monde dès le plus jeune âge jusqu’à reproduire ce que l’on appelle la norme. Une traversée depuis la Préhistoire qui nous conduit à retrouver les bons vieux hochets, les bébés poupons, la Barbie et, enfin, les jeux-vidéos… La sélection d’art contemporain fascine par ce que ces œuvres, peintures, sculptures, installations signées d’artistes de renommée internationale comme émergents, racontent de nous et de nos différentes générations. Alors faut-il se méfier pour de vrai de ces « inquiétantes étrangetés » peuplant nos chambres d’enfants, jusqu’à s’unir - peut-être- à notre insu pour orchestrer le monde ? Réponses de Cédric Fauq sous forme … de jeu !

Cédric Fauq ©Paris+ by Art Basel 2022

Cédric Fauq ©Paris+ by Art Basel 2022

Anne Monier Vanryb

Anne Monier Vanryb

Si vous étiez le plus vieux jouet du monde ?
« Parmi les jouets qui me fascinent dans l’exposition « Rayon Jouets » il y a cette collection d’hochets anciens. Leur histoire est intéressante. L’un des hochets date de 2000 ans avant JC, un prêt du « Musée du Jouet » de Morians-en-Montagne. Un hochet en bronze qui vient d’Iran. Il devait servir à calmer les cris des enfants qui pouvaient irriter les divinités. On apprend aussi que, dans le monde gréco-romain, le rythme et la musique amusaient et calmaient les enfants, mais aidaient également à structurer leur âme, en les détournant d’activités qui leur faisaient, dit-on, prendre de mauvaises habitudes. »

 

Si vous étiez un jouet qui soigne ?
« Le visiteur peut découvrir dans l’exposition plusieurs œuvres de Benoît Piéron. Cet artiste français a fait l’expérience de plusieurs maladies durant son enfance, qu’il a passée à l’hôpital. Transfusé, il a fait partie des enfants victimes de l’affaire du sang contaminé. Suite à cela il a consacré sa vie à l'art, développant ce qu’il appelle des « voyages immobiles ». S'enfuir, s'échapper, traverser des temporalités et des géographies différentes par plusieurs biais notamment celui du récit. Il a ainsi créé une peluche en forme de chauve-souris confectionnée à partir de draps réformés d’hôpitaux qu'il appelle Monique en référence à l’écrivaine et militante Monique Wittig, pionnière du MLF (Mouvement de Libération des Femmes). Dans l'exposition la tête de la chauve-souris surplombe la manche d’une béquille.»

 

Si vous étiez un jouet à conserver jusqu'à la fin ?
« Je dirais un jeu de construction, tels les Lego ou les K’Nex. Parce que justement c’est ce qui permet de refaire et défaire à l’infini. Dans l’exposition, je pense aux impressions en 3D de Arash Nassiri, artiste iranien installé en France. Sa série d’œuvres représente des maisons de poupées de la marque japonaise « Sylvanian Families ». L’artiste a peint les maisons en gris « nardo », une teinte utilisée par le constructeur automobile Audi. Arash a aussi accroché, sur les murs des maisons, des écrans LCD miniatures, comme ceux qu’on peut voir dans les rues de Téhéran et sur lesquels défilent des publicités en farsi. On voit ainsi ces maisons de poupées se transformer pour devenir œuvre d’art. Le processus artistique et ce qu’il peut impliquer de processus et d’opérations (collages, assemblages, translation etc) s'apparente aux gestes de l’enfant qui joue. C'est d’ailleurs l’un des critères qui nous a guidé dans le choix des artistes figurant dans cette exposition. Une autre réflexion s’est portée sur le lien à tisser avec le jouet une fois sorti de l’enfance. Je pense là aux peintures de Kyle Thurman montrant des bustes d'Iron Man, le super héros de l’univers Marvel créé dans les années 60. Cet artiste américain s’inspire d’images de synthèse et de communautés en ligne qui reproduisent et impriment en 3D des bustes d'Iron Man pour ensuite les personnaliser et les porter. On est dans l'univers du Cosplay, une forme de jeu pour adultes. »

 

Si vous étiez un jouet d'arrière-garde ?
« Ce sont les jeux de société ayant servi à la propagande de l'Empire colonial français. Par exemple, « L’Empire français », un jeu des sept familles de la marque « Miro Company » datant de 1939 et conservé aujourd’hui par le Musée des Arts décoratifs. Il est exposé dans « Rayon Jouets » au milieu d’autres pièces semblables. On le verra plus tard : au fil des siècles le jouet a pu être un outil de propagande.»

 

Si vous étiez le jouet du futur ?
« Ce serait un jouet qui apprendrait à inventer un autre rapport à la compétition et à la nature. On peut citer l’œuvre d’Éloïse Bonneviot et d’Anne de Boer, « Tracing a Seeping Terrain ». Ces deux artistes, nées en France et au Pays-Bas, s’inspirent, pour créer, des thématiques sur les relations entre espèces et sur les enjeux climatiques. Leurs œuvres spéculent sur la construction d’un autre monde. Elles travaillent, par exemple, sur la manière dont le jeu vidéo peut nous aider à modifier notre relation à la nature et nous faire prendre conscience de l’impact – aussi bien négatif que positif – que l’on peut avoir sur l’environnement. Cette œuvre se présente donc comme un jeu vidéo, pour un à deux joueurs. Dans un paysage mêlant nature et ville, le joueur est invité à prendre soin de l’environnement ou à le détruire. Il peut aussi changer de point de vue et adopter celui d’un animal. À partir d’un incendie ou d’une inondation, le joueur est mis à contribution dans une combinaison d’interdépendances. »

 

Si vous étiez un jouet qui fait flop ?
« Dans son œuvre « E.T. the Extra-Terrestrial », Marianne Vieulès évoque l’un des plus gros flops de l’histoire du jeu et du jouet. Elle s’est intéressée au jeu vidéo d’Atari lancé en 1982, une adaptation du film de Steven Spielberg. Le jeu fut développé en un temps très court pour bénéficier du succès du film. Mais ce fut un échec commercial complet ! On dit que c’est le pire jeu de l’histoire du jeu vidéo. Une grande quantité d’invendus furent enterrées et coulées dans le béton, au Nouveau-Mexique, avant d’être récupérés pour finalement entrer dans des collections de musées prestigieux comme le Smithsonian. L’exposition pointe ici les enjeux économiques de l’industrie : le jouet est aussi un marché, et les usagers que sont les enfants sont aussi des clients.»

 

Si vous étiez un jouet doudou ?
« Ce serait l’œuvre de Bunny Rogers qui prend la forme d’une structure en bois, une étagère, identique au design des rayons de la bibliothèque du lycée Columbine High School, dans le Colorado, où a eu lieu en avril 1999 cette fusillade qui a choqué l’Amérique, et au-delà. Sur les étagères sont disposées une multitude de peluches faisant référence au musicien Elliott Smith. On sait que les deux adolescents qui ont perpétré le massacre écoutaient beaucoup la musique de Smith. Cette œuvre est le signe que l’on peut prendre soin de certains traumatismes par le biais de peluches. »

 

Si vous étiez un jouet inclusif ?
« Ce serait celui de « Queen City Spécial », l’œuvre de 2020 d’Aviva Silverman représentant un petit train électrique sur lequel sont disposées des figurines incarnant des militantes, poètes, médium, anarchiste, philosophe... C’est une réappropriation d’un jouet associé traditionnellement aux petits garçons ou aux collectionneurs. L’artiste l’utilise pour dessiner une forme de généalogie de figures féministes et queer. Est posée ici la question de la temporalité du jouet et de la façon dont il informe l’enfant dans la formation de sa perception du monde. Encore une autre question placée au cœur de l’exposition.»

 

Si vous étiez un jouet qui se transmet entre générations ?
« Sans hésiter, même si ce n’est pas réjouissant, je pense aux différentes armes qu'on peut trouver dans les œuvres de Matthieu Habérard ou de Francis Alÿs parce qu’elles m’évoquent l’idée de passation, avec l’objectif ici de former la jeunesse à défendre la nation. Le premier est une épée de bois, jouet traditionnellement destiné aux jeunes garçons et avec lequel ils peuvent développer le concept de violence. Les épées imaginées par Habérard sont inutilisables et inoffensives… »

 

Si vous étiez un jouet de propagande ?
« Il y a cet autre artiste qui utilise les maison des « Sylvanian families» : Déborah Delmar. Avec cette idée que les jouets peuvent délivrer des messages à travers leur forme. Ces maisons individuelles de format bourgeois présentées par la marque « Sylvanian » développent forcément un imaginaire plutôt restreint et normé sur la réussite ou tout simplement sur ce que signifie vivre « une vie ». Ce n’est pas forcément une critique de ce modèle-là. Mais c'est montrer que, dès l'enfance, certains jouets participent à l’élaboration de ce genre d'idéaux.»

 

Enfin si vous étiez un jouet transgressif ?
« Sans hésiter le dinosaure de Monica Al Qadiri. Cette œuvre intitulée « Seismic Song » représente un dinosaure posé au sol devant un micro. Il chante en karaoké d’une voix « autotunée ». L’artiste fait référence à cette technologie élaborée à partir d’ondes, l’autotuned, qui avant d’être mise au service de l’industrie de la musique servait à l’industrie pétrolière afin de localiser les nappes de pétrole situées en profondeur dans la couche terrestre. Elle met le doigt à la fois sur l’intensification de la production de jouets en plastique, sur la provenance même de ce plastique, et sur cette transgression au fil du temps de l’utilisation d’une découverte technologique.»

2023_Monira-Al-Quadiri_Crude-Eye_KOENIG-GALERIE_Berlin_photo-by-Roman-Maerz

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