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Sur les traces de Sarah Bernhardt avec la metteure en scène Laurence Cohen

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8 min

Photo de Laurence Cohen

Femme de théâtre et amoureuse de la vie et de la personnalité de Sarah Bernhardt, Laurence Cohen rend hommage, à travers plusieurs évènements, à l’une des plus grandes tragédiennes françaises dont on célèbre cette année le centenaire de sa disparition.

À l’occasion du centenaire de sa mort, la « divine » Sarah Bernhardt retrouve le haut de l’affiche. Expositions, rencontres, concerts, projections, à Paris et Belle-Île-en-Mer… Cette figure emblématique de la Belle Époque, disparue le 26 mars 1923, se redécouvre grâce à une programmation dense et plurielle intitulée « Sarah dans tous ses états », placée sous le patronage de la Commission nationale française pour l’Unesco.
Pour La French Touch, Laurence Cohen, instigatrice de ce programme, revient sur le personnage et la carrière hors norme de cette star internationale. Une véritable icône moderne, comme nous l’explique ici cette metteure en scène et grande connaisseuse du spectacle vivant.

Vous êtes à l’origine de la programmation culturelle « Sarah dans tous ses états » célébrant ce centenaire de sa disparition. Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste de Sarah Bernhardt ?

Je suis une randonneuse. C’est en sillonnant Belle-Île-en-mer, pour la première fois il y a 15 ans, que j’ai découvert l’histoire de celle qu’on appelait « la divine », ainsi que son personnage haut en couleurs. Sarah Bernhardt a passé tous ses étés sur cette île de Bretagne pendant près de trente ans. Elle s’installa à la Pointe des Poulains, l’un des endroits les plus sauvages, dans un ancien fortin devenu aujourd’hui le musée Sarah Bernhardt. C’est donc là-bas, en parcourant l’île, que j’ai fait la connaissance de cette tragédienne qui fit connaître la langue française sur les cinq continents. Une femme courageuse et aux talents nombreux. Cette année 2023 est le centenaire de sa disparition. Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion de la célébrer !

Jean Cocteau a inventé pour elle la formule « monstre sacré ». Quel est ce talent qui l’a fait devenir cette star internationale ?

C’est d’abord une femme qui se positionne dans un siècle d’homme. Elle a séduit toute l’intelligentsia de l’époque. Parce qu’elle est singulière. C’est elle qui fait émerger Edmond Rostand. C’est aussi grâce à elle qu’Alphonse Mucha réalise ses premières affiches théâtrales. Rien n’est prévu au départ pour qu’elle soit actrice. Et pourtant c’est ce destin qu’elle se construit. Ce qui m’a aussi interpellé, c’est qu’au moment où j’ai eu le sentiment de la comprendre, elle m’a échappée. J’ai d’abord découvert la grande tragédienne puis j’apprends ensuite qu’elle est aussi peintre et sculptrice, qu’elle expose et qu’elle vend ses œuvres. On raconte que Rodin était jaloux d’elle. Et je découvre enfin qu’elle s’engage en politique, notamment contre la peine de mort et pour le droit de vote des femmes. C’est une personnalité qui toute sa vie a fait entendre sa voix.

“ Depuis toute petite Sarah Bernhardt se construit sur un chaos ”

Revenons sur sa carrière de comédienne : quels sont les textes qui ont fait sa gloire de tragédienne ?

À la fin de sa vie elle joue « L’Aiglon », la pièce d’Edmond Rostand, dans laquelle elle se travestit pour incarner un jeune homme de 19 ans alors qu’elle en avait cinquante et un. Interpréter la reine dans « Ruy Blas » a été un autre temps fort de sa carrière, notamment à l’étranger, puis « Phèdre » et enfin « La Dame aux camélias » qui fit un tabac. Ces pièces sont des succès populaires, la presse de l’époque ne parle que d’elle. Elle est connue dans le monde entier. Et quand elle va jusqu’à claquer la porte de la Comédie Française, c’est pour créer sa propre troupe, puis partir à l’étranger. On lui fait une réception extraordinaire. Comment peut-elle attirer les Londoniens au point de faire huit cents rappels en jouant en langue française ? On est toujours dans l’incroyable avec Sarah Bernhardt.

Qu’est-ce qui vous a intrigué avec ce personnage ?

Ce qui m’a touchée : c’est un combat de toute une vie. Elle ne rentrait pas dans les critères de beauté de l’époque. Elle n’a pas eu de père, et sa mère qui était une demi-mondaine ne l’aimait pas. Elle a été élevée par des Bretons, en langue bretonne, jusqu’à l’âge de six ans. Ne sachant ni lire ni écrire, elle est parachutée en pension. C’est là qu’elle forge sa devise : le fameux « quand même ». Elle a alors huit ans. On raconte que son cousin l’incite, en la narguant, à sauter par-dessus un ruisseau. Elle s’exécute, mais elle tombe et se fait mal. Quand sa mère et sa tante Rosine lui diront qu’elle n’aurait pas dû s’y risquer, elle aura cette phrase : « non seulement je ne regrette rien mais si c’était à refaire je le referai quand même ». Et ce « quand même » la suivra toute sa vie, dans ce parcours aussi atypique qu’audacieux. Certains prétendent qu’elle était hystérique. Non, elle était libre. C’est aussi ça qui m’a intéressé : cette liberté dans ce monde cloisonné.

A quoi ressemblait-elle physiquement ?

Aujourd’hui on dirait d’elle que c’est une beauté. Mais à l’époque ce n’était pas le cas. Sarah a les cheveux crépus, on l’appelait même la négresse blonde. Elle mesure un mètre cinquante-quatre et est maigre comme un coucou. Sa mère lui dit qu’elle est laide. Lorsqu’elle se présente au concours du Conservatoire d’Art dramatique elle n’a guère confiance en elle. C’est le duc de Morny, ami de sa mère, qui va la présenter au jury et s’arrange ensuite pour qu’elle soit prise. A l’issu des délibérations, alors qu’elle apprend qu’elle est reçue, il lui aurait dit quelque chose comme : « à toi de jouer maintenant Sarah, le chemin à parcourir est difficile, tu vas devoir travailler. » Le déclic est immédiat. La jeune femme se met à lire et ne cesse d’apprendre à partir de ce moment-là. Elle acquiert une mémoire phénoménale.

Quelle vie personnelle se dissimule sous cette imposante carrure de star ?

Elle a eu une vie chaotique. Depuis toute petite Sarah Bernhardt se construit sur un chaos. Elle n’a pas connu son père, son mari va la tromper… C’est une femme de courage et au caractère trempé qui ne se plaignait jamais malgré les coups du sort. Pleine d’émotions, mais sans jamais se dévoiler. En public elle apparait toujours joyeuse, empathique, à l’écoute… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle jouera beaucoup des rôles d’homme. A l’époque les rôles de femmes sont moins dans l’expression des émotions. Donc ce sont les personnages masculins qu’elle incarne sur scène qui vont lui permettre de libérer ses larmes et d’exprimer la douleur d’une vie. Elle trouvera son équilibre ainsi. Toute sa vie elle cherchera aussi à apprivoiser la mort. Elle avait installé, chez elle, un cercueil dans lequel elle dormait… Son ancrage, c’est sa famille, son fils unique Maurice, ses deux petites-filles, ses animaux – elle en avait de toute sorte -, et bien sûr aussi son fortin à Belle-Ile-en-Mer, une île sauvage qui convenait parfaitement à son âme fougueuse. Sarah fut une pionnière dans l’émergence d’une femme nouvelle, une femme non soumise.

“ Sarah Bernhardt est bien vivante. Et elle le sera encore bien d’avantage après ce centenaire ! ”

En connaissance de cause comment avez-vous envisagé cette programmation ?

J’ai d’abord cherché les lieux qu’elle affectionnait. Paris et Belle-Ile-en-Mer se sont imposées. Après une semaine de festivités à Paris, la programmation se poursuivra du 30 avril au 8 mai sur l’île bretonne avec une exposition, des conférences, une promenade commentée sur ses traces, des concerts, des ateliers, un bal. Les Bellilois ont montré un enthousiasme sans pareil. L’hôtel du Cardinal, l’Office de tourisme, la compagnie de catamarans écoresponsables « Iliens », etc., nous accompagnent.

Qu’avez-vous découvert depuis le début de votre engagement autour de ce centenaire ?

Je ne connaissais pas l’existence de ses crises de colère monumentales. Sarah pouvait tout mettre à feu et à sang. Aujourd’hui on lui diagnostiquerait peut-être un syndrome d’Asperger… J’ai aussi découvert que le monde entier était à ses pieds. Ainsi quand elle part en tournée au Brésil, c’est l’empereur du Chili qui vient à sa rencontre ! A Londres les étudiants détellent les chevaux pour la ramener à dos d’hommes jusqu’à chez elle.

Quel est l’enjeu de ce centenaire ?

Ce programme « Sarah dans tous ses états » a pour objectif d’éveiller l’intérêt pour la grande tragédienne qu’elle était, notamment auprès du jeune public. Sarah Bernhardt était très ouverte aux jeunes écrivains de l’époque qu’elle recevait parfois jusqu’à deux heures du matin. Saviez-vous que le 9 décembre 1896, 500 personnes lui organisent une fête à Paris car elle n’a toujours pas reçu la Légion d’honneur ? À cette occasion sept écrivains de l’époque lui offriront un sonnet. Il se trouve que plus de cent ans après, elle fait toujours l’objet de nouvelles parutions. Sarah Bernhardt est bien vivante. Et elle le sera encore bien d’avantage après ce centenaire !

Retrouvez la programmation de Sarah dans tous ses états entre Paris et Belle-Ile-en-Mer

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