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Olivier Py : « Le Festival d’Avignon est devenu un lieu où certains combats peuvent s’exprimer librement »

Perturbé par deux années de Covid, le Festival d’Avignon, qui clôturera dans quelques jours sa 76e édition, a renoué cette année avec sa programmation habituelle. Son directeur depuis 2014, le metteur en scène Olivier Py, signe aussi sa dernière édition. À la veille de faire ses adieux, l’homme de théâtre féru de politique nous confie ses souvenirs et impressions.   La French Touch : Dans ce contexte d’actualité particulièrement incertain, peut-on attendre, de la part de cette 76e édition du Festival…

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Py Olivier

Perturbé par deux années de Covid, le Festival d’Avignon, qui clôturera dans quelques jours sa 76e édition, a renoué cette année avec sa programmation habituelle. Son directeur depuis 2014, le metteur en scène Olivier Py, signe aussi sa dernière édition. À la veille de faire ses adieux, l’homme de théâtre féru de politique nous confie ses souvenirs et impressions.  

La French Touch : Dans ce contexte d’actualité particulièrement incertain, peut-on attendre, de la part de cette 76e édition du Festival d’Avignon, lumière et espoir ?  

Olivier Py : Même le théâtre le plus désespéré et le plus attaché à la lucidité radicale apporte quand même de l’espoir. C’est un paradoxe de l’art en général et du théâtre en particulier. Quand un rideau se lève, c’est un miracle. Ce miracle ne répond pas bien sûr à toutes les questions que nous nous posons sur l’état du monde, mais il créé, pour un temps, une communauté d’esprit propre à nous donner courage dans les combats que nous avons à mener. Je suis comme vous, j’ai la certitude qu’il y aura, pour les générations à venir, des combats sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Est-ce que cette édition en témoigne ? Oui, car les artistes sont poreux à la souffrance de leurs frères, aux grandes questions comme aux questions de l’intime qui sont traversées par la grande histoire.  

LFT : Pourquoi avoir choisi « Il était une fois » comme thème de l’année 2022 ? 

OP : D’abord parce que c’est ma dernière édition : j’aimerais finir comme si c’était un commencement – et cela l’est évidemment… Aussi parce que le rôle du narratif me semble important. Regardez, par exemple, dans la crise ukrainienne, on assiste à une guerre de narratif entre le camp de Poutine et l’Ukraine. Créer l’Europe l’est également : il n’est pas seulement question d’idéologies et d’intérêts économiques, mais aussi de récits communs. Le théâtre porte cette dimension, et dans les jours sombres que nous traversons, elle peut être opérante.  

« On croit le Festival d’Avignon indestructible alors qu’il est en réalité très fragile »  

LFT : Sur un plan plus personnel, comment quittez-vous cette direction ? 

OP : C’est un déchirement pour moi à tel point que j’ai eu du mal à imaginer une suite, quelle qu’elle soit. Cela fait dix ans que je voue ma vie au Festival. Cela va être aussi un déchirement de quitter la ville d’Avignon à laquelle je suis extrêmement attaché. Je suis consolé dans cette aventure en laissant la maison à Tiago Rodriguez (le metteur en scène portugais NDLR) que j’admire et respecte. Je vais rejoindre quant à moi le groupe des anciens directeurs qui veillent toujours sur le Festival. On croit le Festival d’Avignon indestructible alors qu’il est en réalité très fragile. Il peut être déstabilisé par un petit revirement politique ou même, on l’a vu, par un virus…  

LFT : Si vous deviez nous confier un moment heureux durant cette période ? 

OP : Il y en a tellement, avec 500 spectacles et 3 000 levers de rideaux ! Il y a aussi tout ce qui ne s’inscrit pas dans le programme : les rencontres, les discussions tard dans la nuit, les débats d’idées, les moments d’exaltations avec les artistes et les équipes du Festival… Donc c’est infini bien sûr. À titre personnel, j’ai réussi trois années de suite à permettre aux détenus de la prison du Pontet de jouer pour le public du Festival. Un souvenir immense. Parce que quand on a commencé à répéter avec ces garçons à Avignon, certains n’étaient pas sortis de prison depuis une dizaine d’années. C’est un souvenir très émouvant.  

« Il y a plusieurs manières de faire en sorte que le théâtre ne soit pas un objet de consommation, ni un simple divertissement » 

LFT : Vous mettez en scène, cette année, la pièce Ma jeunesse exaltée, l’histoire d’un Arlequin contemporain, ce personnage pauvre vêtu d’un costume rapiécé qui incarne dans la littérature la sagesse par l’humour. Quel destin lui offrez-vous ?  

OP : Je suis resté fidèle à son mythe qui a réussi à traverser les siècles. On a peu d’équivalents dans le théâtre d’un personnage qui trouve sa place à la fois au XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle puis qui revient au XXe puis finalement aussi au XXIe siècle. Vous avez raison de dire qu’il est pauvre : il incarne le plus bas de l’échelle. Dans ma pièce, il est livreur de pizza. J’ai pensé évidemment aux travailleurs d’Amazon et de Deliveroo qui se situent en dessous de la condition ouvrière avec quasi-absence de droit parfois. Pourtant Arlequin, par sa jeunesse, sa beauté, son humour, son intelligence et sa soif de vivre, arrive à retourner la violence du pouvoir et à lui donner une leçon. 

LFT : Cette pièce dure aussi dix heures. Est-ce une façon pour vous de ralentir le temps dont vous semblez souvent manquer ? 

OP : Oui, c’est vrai. Et c’est un paradoxe. Car Arlequin lui va toujours plus vite que le monde. Je crois que cette durée longue offre aux spectateurs une exigence. On leur demande plus que lors de l’habituelle catharsis d’une heure et demie ou deux heures. Dans une pièce de théâtre, au-delà d’une durée de cinq heures, il se passe forcément quelque chose d’autre. Aussi, la génération qui joue cette pièce est moins effrayée que ses aînés à l’idée d’avoir à traverser ce genre de récit. Ils ont une affinité avec les œuvres longues, ne serait-ce qu’à cause des séries qui font partie de leur époque. 

LFT : On voit de plus en plus de pièces au long cours se monter. Sortir ainsi du cadre, serait-ce la nouvelle aventure du théâtre ?  

OP : Mais le théâtre est un cadre ! Et on peut aussi sortir du cadre avec une pièce d’une heure dix ! Il y a plusieurs manières de faire en sorte que le théâtre ne soit pas un objet de consommation ni un simple divertissement. Qu’il appelle à travers son déroulement à ce que le spectateur se sente un peu plus citoyen et quelquefois un peu plus mortel… C’est magique. Moi-même, plus j’avance moins je sais comment ça marche. Mais je sais que ça marche. Et la longueur est une des façons de décadrer le cadre.  

« Nous sommes pratiquement arrivés à la parité sur les deux dernières éditions » 

LFT : Parlons de vos combats. Cette année, la place des femmes sera l’un des sujets du Festival. En quels termes se pose la féminisation du théâtre à Avignon ? 

OP : Il a tout d’abord fallu avancer vers la parité. Ce n’était pas gagné quand j’ai commencé, malgré toute la bonne volonté de mes équipes. D’année en année, la proportion de metteuses en scène, de chorégraphes, de porteuses de projet, a avancé et nous sommes pratiquement arrivés à la parité sur les deux dernières éditions. Tout en tenant compte du fait que c’est la qualité des spectacles qui nous importait d’abord et qu’il ne fallait pas de discrimination positive. Bien qu’il est difficile, en vérité, de ne pas en faire… Ensuite, je ne demande pas aux femmes, quand elles viennent à Avignon, de parler forcément de la condition féminine. La question du nouveau féminisme – ce qu’il pourrait vouloir dire dans la lutte contre le capitalisme – je l’ai trouvée très présente chez beaucoup d’artistes. Cette année, nous accueillons un spectacle palestinien, mis en scène par un homme qui ne parle que de la condition des femmes, et notamment des femmes pendant la guerre. La question d’être une mère dans la guerre est très présente cette année.  

LFT : Qu’en est-il de vos autres sujets de prédilection ?  

OP : Nous avons mené beaucoup d’éditions de combat… On me l’a même souvent reproché, mais j’essaie toujours de me faire une gloire de ce dont on me reproche. Nous avons lutté pour la culture et le théâtre, pour le droit des LGBT, pour certains pays, la condition carcérale, les migrants… Le Festival d’Avignon est devenu un lieu où certains combats peuvent, tout au long du mois de juillet, s’exprimer librement de manière intelligente et de manière dialectique aussi. J’en suis fier.  

LFT : Après l’annulation du Festival en 2020 et une année 2021 réduite à portion congrue, 2022 marque un retour à « la normale ». On sait pourtant qu’il n’en est rien, à commencer par la situation des artistes. Comment s’expriment ces changements post-covid à Avignon ? 

OP : Ils ne s’expriment guère en tout cas sur le point de la fréquentation ! Je suis un directeur comblé. À la mi-juin (cet entretien a été réalisé fin juin, NDLR) les chiffres de réservation étaient les mêmes que lors de l’édition précédente. Le public fait preuve d’une adhésion, et d’une fidélité qui ne se dément pas même en période difficile.  

LFT : Pour revenir aux différents débats actuels : pourquoi, à la différence de l’art contemporain, le théâtre s’empare-t-il si peu de la question écologique et de la défense du vivant ? 

OP : Je me suis souvent posé cette question et je ne suis pas certain d’avoir la réponse. À la différence des arts plastiques, nous n’avons pas besoin d’aller vers le vivant puisque nous le sommes ! Il nous manque certainement un Guiseppe Penone qui fasse rentrer la cause de la nature sur les plateaux, même si Anne-Cécile Vandalem a tout à fait rempli ce devoir impérieux avec ces trois derniers spectacles (Tristesses en 2016, Arctique en 2019, Kingdom en 2021 NDLR). Quand le théâtre ne traite que d’un seul sujet, c’est souvent du mauvais théâtre… Shakespeare ne parle pas de la mort, du désir et de la politique, il arrive à faire que ces thématiques s’entrecroisent, se répondent et dialoguent. Les spectacles qui arrivent à lier le féminisme, l’anticapitalisme conscient, l’état de la Terre et la violence du monde marchand sont, à mon avis, plus intéressants qu’un énième article de presse sur l’écologie.  

« Réduire la dépense énergétique des spectacles coûte de l’argent » 

LFT : Peut-on imaginer un Festival zéro carbone ?  

OP : Sur ces questions, comme celles du transport et de la consommation de papier, le Festival a beaucoup évolué en dix ans en privilégiant, par exemple, la numérisation des billets et des programmes. Mais le Festival n’est pas seul. Il y a des comportements que nous avons imposés en travaillant avec des entreprises écoresponsables. Enfin, réduire la dépense énergétique des spectacles coûte de l’argent, or le Festival est pauvre, mais on y va progressivement, en généralisant l’utilisation des LED par exemple…  

LFT : Vous qui êtes un fou de scène, auriez-vous le désir de créer une pièce dans le Métavers ?  

OP : Par la violence du Covid, nous avons dû développer le streaming et puis surtout mettre en ligne des archives extraordinaires qui n’étaient pas connues. Pour autant le théâtre s’oppose radicalement au Métavers. Et d’ailleurs mon petit Arlequin se force de rappeler qu’on ne vit pas dans le Métavers. On fait semblant. Il rappelle aussi que le capitalisme est une falsification de la vie et qu’il fait des bénéfices sur la falsification du réel. Le Métavers est un grand danger pour la santé psychique de l’humanité.  

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